Découvert en Écosse en 2014, le Galloway Hoard intrigue les chercheurs depuis une décennie. Jusqu’ici attribuée à plusieurs propriétaires, une inscription runique récemment déchiffrée bouleverse cette hypothèse. Des chercheurs estiment désormais qu’il appartenait à une communauté, remettant en cause notre compréhension des sociétés du IXᵉ siècle.
Depuis des siècles, les trésors enfouis suscitent interrogations et convoitises. Plus qu’une accumulation d’or et d’argent, ils sont des témoignages directs des sociétés qui les ont cachés, révélant leurs craintes, leurs échanges et leur organisation. En 2014, un chasseur de trésors amateur a mis au jour le Galloway Hoard en Écosse, un dépôt d’objets de l’ère viking contenant plus de 5kg de métaux précieux et des artefacts d’une grande finesse.
Son propriétaire restait inconnu, jusqu’à ce qu’une inscription runique récemment déchiffrée apporte un nouvel éclairage. Des chercheurs du National Museums Scotland (NMS) et de l'Université du Pays de Galles ont analysé ces runes complexes, remettant en question l’idée d’une possession individuelle. Ce trésor pourrait avoir appartenu à une communauté entière, soulevant des questions inédites sur les structures sociales et religieuses du IXᵉ siècle.
Galloway Hoard, un trésor collectif plutôt qu’individuel ?
Depuis sa découverte en 2014, le Galloway Hoard a soulevé de nombreuses interrogations quant à son propriétaire et aux raisons de son enfouissement. Parmi les indices disponibles, quatre bracelets d’argent ornés d’inscriptions runiques ont particulièrement attiré l’attention des chercheurs. Trois d’entre eux présentent des éléments de noms anglo-saxons. Ils laissent supposer plusieurs individus distincts, peut-être des chefs de guerre ou des membres d’une élite locale. Cette répartition suggérait que le trésor avait été partagé entre plusieurs propriétaires avant d’être enterré. Cela renforcerait l’hypothèse selon laquelle il s’agissait d’un butin amassé par différents détenteurs ou d’un dépôt de fortune destiné à être récupéré plus tard. Toutefois, une quatrième inscription, plus longue et énigmatique, résistait aux tentatives de traduction. Elle laissait planer le doute sur l’identité réelle des propriétaires du hoard.
© National Museums Scotland
Cette situation a changé avec le travail des chercheurs du National Museums Scotland (NMS), qui ont enfin réussi à déchiffrer cette inscription mystérieuse. Selon Martin Goldberg, conservateur principal des collections médiévales et vikings au NMS, cette avancée remet en question les hypothèses établies. L’inscription runique récemment traduite indique : « Ceci est la richesse de la communauté ». Cette découverte bouleverse l’interprétation du Galloway Hoard en suggérant qu’il ne s’agissait pas d’un trésor détenu par plusieurs individus distincts, mais d’une propriété collective. Une telle notion est inédite pour un dépôt de cette époque. L’accumulation de richesses était souvent considérée comme une affaire personnelle ou familiale. Cette nouvelle lecture soulève des questions cruciales sur l’organisation sociale et économique des sociétés médiévales de l’époque.
Une inscription runique énigmatique
Le déchiffrement de cette inscription a nécessité une analyse particulièrement acharnée en raison de plusieurs anomalies linguistiques et orthographiques. Gravée à l’intérieur d’un bracelet d’argent, la phrase « DIS IS IIGNA F » ne correspondait à aucune langue médiévale connue. L’une des difficultés majeures résidait dans le fait que certaines lettres semblaient mal orthographiées ou mal agencées. La cause ? Soit une erreur du graveur, soit une variation dialectale encore inconnue. Après de nombreuses tentatives de traduction, l’équipe a identifié un élément clé qui a permis de faire avancer l’interprétation. Il s’agit de la lettre « F », encadrée de deux points, un détail qui a changé la lecture du texte.
Cette notation inhabituelle a suggéré que « F » ne devait pas être lu comme une simple lettre. Mais on devait la lire comme la rune « feoh ». Ce terme anglo-saxon signifie « richesse » ou « propriété ». Un changement de point de vue qui a conduit à reconsidérer le mot « IIGNA ». Ce dernier n’avait initialement aucun sens connu. En le comparant avec d’anciens textes anglo-saxons, les chercheurs ont réalisé qu’il pouvait s’agir d’une variante du mot « higna ». On l’utilise pour désigner une communauté, notamment à caractère religieux.
Enfin, le mot « DIS » semblait être une orthographe inhabituelle de « this ». Les experts estiment qu’il pourrait avoir probablement été influencée par une prononciation régionale spécifique. Cette analyse a permis d’aboutir à la traduction : « Ceci est la richesse de la communauté. » Pour David Parsons, linguiste à l’Université du Pays de Galles, ces variations orthographiques apparaissent logiques si l’on prend en compte la diversité des usages linguistiques de l’époque. Il souligne, dans un article du Guardian, que, tout comme aujourd’hui, des différences dialectales et des erreurs d’écriture pouvaient exister.
Le Galloway Hoard: un trésor religieux enfoui face aux invasions ?
L’identification du Galloway Hoard comme un trésor communautaire relance le débat sur son origine et son usage. La présence d’objets à caractère religieux, comme un pectoral en argent, un flacon en cristal de roche portant une inscription en latin attribuée à un évêque, et des fils d’or d’une finesse exceptionnelle, suggère un lien avec une institution ecclésiastique. À cette époque, les monastères et centres religieux jouaient un rôle majeur dans l’accumulation et la gestion des richesses. En plus de leur fonction spirituelle, ils servaient souvent de lieux de dépôt pour des objets de valeur. A la fois offrandes et réserves économiques. Si le Galloway Hoard constituait effectivement la propriété d’un établissement religieux, cela signifierait que des trésors de cette nature pouvaient être administrés collectivement. Et cela au bénéfice d’une communauté et non d’un seul individu.
L’an 900, période supposée de l’enfouissement du trésor, correspond à une époque de grande instabilité en Grande-Bretagne et en Irlande. Elle se trouve marquée par des raids vikings destructeurs. Les monastères, souvent riches en métaux précieux et en manuscrits enluminés, étaient des cibles privilégiées. Cette époque voit aussi la montée en puissance du roi Alfred le Grand. Il consolida le royaume du Wessex en repoussant les Scandinaves et en posant les bases de l’Angleterre médiévale.
Plus au nord, en Écosse, le royaume de Strathclyde et celui des Pictes demeurent en pleine transformation. Ils mèneront à l’émergence d’Alba, futur cœur du royaume d’Écosse. Dans ce climat d’insécurité, l’hypothèse selon laquelle une communauté religieuse aurait enterré ses biens pour les protéger d’un pillage devient crédible. Ce scénario expliquerait pourquoi on ne récupéra jamais le trésor. Si ses dépositaires ont été tués ou dispersés, son emplacement a pu être oublié, le laissant enfoui pendant plus de mille ans.
Une découverte qui continue de livrer ses secrets
Cette avancée dans l’étude du Galloway Hoard est le fruit d’un projet de recherche de trois ans, intitulé Unwrapping the Galloway Hoard, financé par le Arts and Humanities Research Council (AHRC) du Royaume-Uni. Selon Christopher Smith, président de l’AHRC, « cette découverte est une étape de plus dans la compréhension de ce trésor extraordinaire, dont l’histoire continue de s’écrire au fil des recherches ».
Le Galloway Hoard n’a pas fini de captiver les historiens et le grand public. Actuellement en tournée à l’étranger, il se trouve exposé au South Australian Museum à Adélaïde. D’autres destinations internationales restent prévues avant son retour en Écosse. Il y sera présenté dans une exposition permanente à Kirkcudbright, près du site de sa découverte.
Cette récente traduction ouvre une nouvelle perspective sur la manière dont les richesses étaient perçues et conservées dans l’Europe médiévale. Le Galloway Hoard, bien plus qu’un simple trésor viking, pourrait être un témoignage unique sur l’organisation des sociétés anglo-saxonnes et écossaises du IXe siècle.