Et si les Vikings n'avaient pas bâti leur richesse uniquement sur le pillage ? L'analyse du trésor de Bedale, en Angleterre, révèle un autre visage des "hommes du Nord": celui de marchands connectés à des routes commerciales d'envergure, reliant l'île britannique au califat islamique et à l'Asie centrale.
Enfoui il y a plus de mille ans dans une prairie du Yorkshire du Nord (nord de l'Angleterre), le trésor viking de Bedale livre enfin ses secrets grâce à une enquête scientifique inédite. Dirigée par la Dr Jane Kershaw, professeure associée en archéologie de l'époque viking à l'université d'Oxford, et publiée dans le journal Archaeometry le 11 août 2025, l'étude a retracé l'origine de l'argent ayant servi à fabriquer ses différentes merveilles, éclairant ainsi les coulisses de l'économie viking – entre butins de guerre et commerce longue distance.
In the absence of banks, treasures were gathered together and buried in hoards for safekeeping. The Bedale Hoard (a hoard of 48 silver & gold items dating from late 9th - early 10th century) found in Yorkshire represents the most northerly #Viking age hoard discovered in England. pic.twitter.com/JtmPD30Hod
De l'argent islamique aux mains des Vikings
Découvert en 2012 dans un champ par des "chasseurs de métaux", le trésor de Bedale (Bedale Hoard, en anglais) comprend quarante-huit objets en argent et en or, datés de la fin du IXe au début du Xe apr. J.-C. : 29 lingots d'argent, plusieurs colliers élaborés, divers bijoux, un pommeau d'épée… Or, en combinant analyses isotopiques du plomb et mesures d'éléments traces, l'équipe de recherche a récemment identifié trois principales origines à l'argent du pactole : des monnaies d'Europe occidentale, mais aussi, des dirhams islamiques et des sources mixtes résultant d'un mélange des deux.
Certes, la majeure partie du métal provenait de monnaies anglo-saxonnes et carolingiennes, probablement acquises par le biais de pillages ou de rançons. Mais près d'un tiers de l'argent, soit neuf lingots, correspondait géochimiquement à de l'argent frappé dans le califat islamique, notamment en Irak et en Iran actuels. Ces dirhams abbasides auraient emprunté l'Austrvegr ("route de l'Est", en vieux norrois), nom donné par les Vikings à la grande voie commerciale reliant la mer Baltique à la mer Noire et à la mer Caspienne via les fleuves des actuelles Russie, Ukraine et Biélorussie. Puis, ils seraient parvenus en Angleterre.
Pour la Dr Jane Kershaw, cette découverte pourrait quelque peu bousculer l'image traditionnelle des Vikings, mise à mal par les recherches successives. "La plupart d'entre nous ont tendance à [les] voir [...] avant tout comme des pillards, qui attaquaient les monastères et autres lieux riches à la recherche de butin, écrit-elle dans un communiqué. [...] Les Vikings ont bel et bien pillé – et une partie de cette richesse est conservée dans les anneaux et les lingots du trésor. Mais ils ont aussi tiré d'importants profits de routes commerciales à longue distance reliant l'Europe du Nord au califat islamique."
Du dirham au lingot, un voyage inattendu
Les résultats suggèrent en effet que, lors de la fondation de leurs colonies en Angleterre, les "hommes du Nord" arrivaient avec d'importantes quantités d'argent islamique, intégré ensuite à l'économie locale. Bedale, aujourd'hui paisible ville du North Yorkshire, se serait ainsi trouvée, à l'époque viking (793-1066 apr. J.-C.), connectée à un réseau économique eurasien d'une vaste ampleur. Déjà, une étude portant sur des peignes en bois, publiée dans Antiquity en 2023, révélait que dès le IXe siècle, des objets étaient produits loin des centres urbains puis acheminés par des routes commerciales transcontinentales.
Les recherches ici menées ont aussi montré que certains artefacts du trésor de Bedale, comme un imposant collier de tiges torsadées, semblent avoir été coulés à partir d'un mélange d'argent oriental et occidental, probablement dans le nord de l'Angleterre. D'autres pièces portent la marque d'un raffinage avec du plomb local, notamment celui du massif montagneux des North Pennines (centre et nord de l'Angleterre), "ce qui témoigne de pratiques métallurgiques sophistiquées et d'une production locale", notent les chercheurs.
Ces analyses s'inscrivent dans un ensemble croissant d'études qui complexifient peu à peu le portrait économique des Vikings. Campagnes militaires et tribus n'étaient qu'une composante d'une stratégie plus large, mêlant échanges commerciaux longue distance – reliant le Moyen-Orient à l'Angleterre –, fonte des pièces importées et refonte de l'argent en lingots et bijoux pour alimenter l'économie scandinave. Bien avant l'ère moderne, l'argent circulait déjà à l'échelle de l'Eurasie, et le trésor de Bedale en est l'éclatante démonstration.