Des recherches géoarchéologiques montrent que le port voisin des pyramides de Gizeh, aujourd'hui enfoui, présente la plus ancienne contamination métallique connue, remontant à 3265 av. J.-C. environ, en raison des activités métallurgiques intensives des anciens Égyptiens.
Bien que la nécropole de Gizeh soit plus célèbre pour ses pyramides et ses momies, une nouvelle étude révèle un aspect largement méconnu de la civilisation égyptienne ancienne. Dans le petit port disparu du site, l'un des plus vieux au monde connus, des chercheurs annoncent avoir identifié le premier cas majeur de contamination métallique d'origine humaine, remontant à plusieurs millénaires. Leurs résultats, publiés dans la revue Geology le 22 juillet 2024, ont été repérés par le Eos, site d'information spécialisé en géophysique.
Ports antiques et construction des pyramides
Situé sur la côte de la mer Rouge, au sud-est du Caire (Égypte), le port de Ouadi el-Jarf est associé au règne du pharaon Khéops, de la IVe dynastie de l'Ancien Empire égyptien, en 2600 av. J.-C. environ. Structures portuaires, restes de bateaux et précieux papyrus y ont été retrouvés. S'il servait principalement à des fins commerciales et d'expéditions, il a aussi été utilisé pour organiser et faciliter le transport de matériaux nécessaires à la construction de la grande pyramide de Gizeh – via, notamment, une branche artificielle et disparue du Nil.
En remontant ce bras jusqu'au plateau de Gizeh, il faut s'imaginer, près de 4 600 ans en arrière, tomber à nouveau sur un port, lui aussi essentiel dans le processus d'édification du complexe pyramidal. Il abritait d'ailleurs une industrie majeure de fabrication d'outils en cuivre, dont certains étaient alliés avec de l'arsenic pour une durabilité accrue. Ces ustensiles comportaient des lames, des ciseaux et des forets, utiles pour travailler le calcaire, le bois et les textiles.
Des traces très anciennes de métaux près de Gizeh
Aujourd'hui, le sol sablonneux de cet ancien port est caché sous les rues urbaines du Caire. Alors, par une chaude journée de printemps en 2019, raconte le site Eos, des chercheurs ont foré, à un peu d'un kilomètre de là où scintille toujours la pyramide de Khéops. Ils ont utilisé ce qui est appelé la "spectrométrie de masse à plasma à couplage inductif" (ICP-MS), technique analytique puissante utilisée pour détecter et quantifier les éléments chimiques dans un échantillon. Ici, les niveaux de cuivre, d'arsenic, d'aluminium, de fer et de titane.
Pour établir un cadre chronologique, six datations au carbone 14 ont été réalisées. Les auteurs de l'étude ont ainsi pu retracer le début d'une contamination métallique significative dans le port à partir de 3265 av. J.-C. environ, durant la période prédynastique égyptienne, une date plus précoce que ce qu'ils n'imaginaient. Cela suggère que l'occupation humaine et la métallurgie à Gizeh ont débuté plus de deux siècles avant ce qui était auparavant documenté.
"Nous avons trouvé la plus ancienne contamination métallique régionale jamais enregistrée dans le monde", s'enthousiasme auprès d'Eos Alain Véron, géochimiste français de l'université d'Aix-Marseille. Cette contamination métallique aurait atteint son pic pendant la construction tardive des pyramides, autour de 2500 av. J.-C., et aurait même persisté jusqu'à environ 1000 av. J.-C. Les niveaux de cuivre durant cette période auraient été "5 à 6 fois supérieurs au niveau de fond naturel", révélateurs d'une activité industrielle locale significative, ajoute le spécialiste.
Métallurgie et repli du Nil : des Égyptiens résilients
Outre ces données inédites, l'étude offre un aperçu de la manière dont les anciens égyptiens se seraient adaptés aux défis environnementaux. Car alors même que le Nil se retirait et que le port près de Gizeh rétrécissait, les activités métallurgiques se poursuivaient : en 2200 av. J.-C., alors que le fleuve atteint son niveau le plus bas – et que l'Égypte est marquée par une période de troubles et bouleversements sociopolitiques d'ampleur – la contamination métallique reste élevée dans les échantillons, soulignant des infrastructures et une main-d'œuvre résilientes.
Le recul du Nil aurait même été source d'opportunités pour les communautés locales, explique Alain Veron. Des recherches antérieures sur les grains de pollen fossilisés ont montré que l'activité agricole avait fortement augmenté à mesure que le fleuve en déclin exposait des plaines inondables fertiles. Après l'arrêt de la construction des pyramides à Gizeh, avec l'achèvement de celle de Mykérinos vers 2510 av. J.-C., les activités liées au travail des métaux ont probablement persisté pour soutenir les activités pastorales en plein essor.
La géochimie pour découvrir l'histoire des gens ordinaires
L'emploi de la géochimie permet ainsi d'éclairer la vie des Égyptiens anciens ordinaires, plutôt que des élites davantage étudiées à travers les (certes fascinants) centres funéraires dispersés le long de la vallée du Nil (Saqqarah, Abydos, Louxor). "Nous aimerions en savoir plus sur 95 % de la population plutôt que sur l'élite", confirme Alain Veron, toujours auprès de nos confrères. Les scientifiques, en concentrant tous leurs efforts sur les pyramides et les tombes royales, pourraient avoir négligé de précieux indices sur les sites archéologiques.
Une occupation antérieure à Gizeh, par exemple, n'a été suggérée que par les preuves apportées par treize tombes au nord du plateau. Christophe Morhange, géoarchéologue à l'université d'Aix-Marseille, également, pense que les archives géoarchéologiques, si elles étaient exploitées, pourraient aider à la reconstitution des récits historiques. "Les sédiments sont aussi importants que les monuments", affirme-t-il, mettant en lumière l'importance souvent négligée du sol sous nos pieds, avant de conclure : "On ne trouve que ce que l'on cherche".