15 avril 2019: Notre-Dame de Paris brûle. Cette image marque le début de l'aventure de la reconstruction de la cathédrale. © Patrick Zachmann/Magnum Photos
Plus de quatre ans après l’incendie, et à quelques mois de la réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris prévue le 8 décembre 2024, retour en mots et en images sur les étapes marquantes des opérations de sauvetage des 18 premiers mois du chantier. Chaque moment des phases de sécurisation et de consolidation de la cathédrale renferme son lot de défis techniques et administratifs.
Au soir du lundi 15 avril 2019, le monde entier a les yeux braqués sur Paris et sur sa cathédrale, Notre-Dame, en proie aux flammes. Alors que les pompiers, sous l’autorité du général Jean-Claude Gallet, commandant la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, tentent de la sauver, les équipes de la direction régionale des Affaires culturelles d’Île-de-France (Drac), maître d’ouvrage sur les cathédrales appartenant à l’État, se rendent sur place et retrouvent les équipes de la cathédrale et du diocèse de Paris.
16 avril 2019 : premier diagnostic
L’urgence est alors d’évacuer les objets d’art et les objets liturgiques au cas où la cathédrale finirait par céder. Notre-Dame reste debout mais la charpente en bois, édifiée en grande partie au XIIIe siècle, et la couverture sont détruites par l’incendie. La chute de la flèche construite au XIXe siècle par Viollet-le-Duc a aussi entraîné la destruction d’une partie des voûtes. Dès le lendemain matin, le ministère de la Culture, la Drac, Philippe Villeneuve, architecte en chef des monuments historiques, et les entreprises présentes sur le chantier font un premier diagnostic et lancent les opérations à mener en extrême urgence. Antoine-Marie Préaut, alors conservateur régional des monuments historiques d’Île-de-France, était sur les lieux. « Il a fallu déterminer les opérations d’urgence immédiatement nécessaires à la sécurité de l’édifice et de l’environnement : des pignons menaçaient de tomber, ainsi qu’une partie de la statuaire.”
Vue intérieure de la cathédrale Notre-Dame de Paris au lendemain de l’incendie ©Patrick Zachmann/Magnum Photo
Le marathon des premières opérations
Dès le mardi, une fourmilière s’organise pour sécuriser, finir d’évacuer les objets, faire un état des lieux des dégâts et entamer les travaux les plus urgents. « L’unité de temps, c’était l’heure ! Ce n’est pas le temps du patrimoine, rappelle Laurent Roturier, directeur régional des Affaires culturelles. Habituellement, un chantier de cette ampleur est préparé des mois, voire des années en amont. Là, tout s’est fait en même temps. Cela a demandé un investissement humain considérable. Nous avons couru un marathon à la vitesse d’un sprint !”
Vue extérieure détaillée du transept sud de Notre-Dame de Paris après l’incendie © Hervé Grandsart, 16 avril 2019
Pendant que les charpentiers étayent les pignons, que les échafaudeurs mettent en sécurité l’échafaudage incendié en vue de son démontage et que les cordistes aident à la sécurisation, on fait venir grue et nacelles, on met hors d’eau la cathédrale, en même temps que les architectes s’affairent sur les diagnostics et que les scientifiques participent au tri des vestiges, le tout sur fond d’arrêté de péril promulgué par la préfecture de police dès le 17 avril. Tout est piloté alors par la Drac qui prend les mesures pour installer un chantier aux montants exceptionnels : 53 millions d’euros sont engagés entre le 15 avril et le 30 novembre 2019.
Deux cordistes sécurisent la tour nord de la cathédrale ©Patrick Zachmann/Magnum Photo
Vers la création de l’établissement public
Parallèlement aux travaux d’urgence, se dessine la création d’un établissement public qui prendrait en charge la conservation et la restauration de Notre-Dame. Philippe Barbat, directeur général des patrimoines se souvient : « Plusieurs formules ont été envisagées pour la maîtrise d’ouvrage, la confier à l’Oppic [Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture, NDLR], renforcer la Drac ou créer une maîtrise d’ouvrage hors d’un établissement public. Le choix d’un établissement public dédié répond à un constat : à moyens constants, nous n’aurions rien pu faire. » L’été 2019 est consacré aux débats parlementaires autour de la loi qui est votée le 29 juillet (loi no 2019-803 du 29 juillet 2019 pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris et instituant une souscription nationale à cet effet). L’établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris sera créé au 1er décembre 2019.
Notre-Dame de Paris le 15 juin 2019 © Connaissance des Arts / H. G.
Mais le chantier de sécurisation lui n’attend pas et les décisions, si elles relèvent toujours de la Drac, sont faites en consultation avec le général d’armée Jean-Louis Georgelin, préfigurateur du futur établissement public. Et il faut organiser la passation administrative et financière. « C’était un compte à rebours assez infernal, se remémore Philippe Jost, directeur général délégué de l’établissement public, bras droit du général Georgelin, son président, mais la coordination et la passation avec la Drac se sont faites parfaitement. » Ce que confirme Laurent Roturier, « il n’y a pas eu de rupture, tout s’est fait dans la continuité. La relation a été très fluide, très anticipée ». Le 30 novembre 2019 à minuit, le transfert des contrats et de la direction des travaux de la Drac à l’établissement public faisait de celui-ci le nouveau maître d’ouvrage de la cathédrale pour les cinq ans à venir.
Avril 2019: l’évacuation et la préservation des oeuvres d’art
Ce 15 avril 2019, deux courses contre la montre sont engagées. Pendant que les pompiers luttent contre l’incendie, s’organise une formidable chaîne de solidarité pour évacuer les reliques, le Trésor et les oeuvres d’art. Suivant le plan de sauvegarde des oeuvres établi quelques mois plus tôt, les pompiers, les services de la direction régionale des Affaires culturelles et le régisseur de la cathédrale mettent en place l’évacuation par ordre de priorité.
Notre-Dame de Paris en septembre 2019 © Connaissance des Arts / Anne-Sophie Lesage-Münch
Les reliques – la Couronne d’épines, la relique du clou et le bois de la Croix – sont sorties en premier puis les objets de la sacristie. Toute la nuit, les pompiers, suivant les consignes des conservateurs, continuent à enlever les oeuvres qui peuvent être transportées. Au même moment, au chevet de l’édifice, les objets sont emballés et chargés dans des camions. Direction l’Hôtel de Ville de Paris où ils passeront la nuit sous surveillance, avant de partir pour les réserves du musée du Louvre.
La « Vierge à l’enfant », dite « Vierge du Pilier », avant son évacuation © David Bordes
Le lendemain matin, les équipes peuvent enfin pénétrer dans la cathédrale et faire le tour de l’édifice. Marie-Hélène Didier, conservateur général des monuments historiques, se souvient : « C’était incroyable, en faisant le tour, j’ai vu que tout était intact, il n’y avait même pas de suie sur les objets. Tout était en bon état. » L’évacuation continue les jours suivants. Une vingtaine de tableaux est décrochée. Le tapis de choeur est aéré avant son transfert au Mobilier national et, le 25 avril, la Vierge à l’Enfant, placée sous la croisée du transept, est déplacée. Elle est visible à Saint- Germain-l’Auxerrois, dans le Ier arrondissement.
Des tables ont été installées dans la cathédrale pour procéder au premier tri des vestiges. © Patrick Zachmann/Magnum Photos
D’autres oeuvres actuellement dans les réserves sont encore en cours de transfert. L’occasion de mettre en place un chantier des collections pour en avoir une vision complète. « Il va se faire en plusieurs étapes : un inventaire, un récolement, une vérification de l’état des oeuvres. Dans une logique de conservation préventive, nous allons en profiter pour effectuer un dépoussiérage et un reconditionnement des objets », précise Jonathan Truillet, directeur adjoint des opérations de l’établissement public.
Dépose de la « Vierge à l’enfant » le 25 avril 2019 ©David Bordes
Toutes les oeuvres qui ne peuvent pas bouger, une partie de la statuaire, les grands candélabres par exemple, ont été protégées et resteront dans la cathédrale pendant la durée du chantier. « Nous vérifions régulièrement l’état des oeuvres restées en place mais elles vont bien », ajoute Marie-Hélène Didier. Et Laurent Prades, le régisseur de la cathédrale, de conclure : « Il faut valoriser et montrer ce patrimoine riche de sens, auquel le public n’a plus accès.”
Avril-mai 2019: l’instrumentation de la cathédrale
L’une des nombreuses urgences à traiter dans les jours suivant l’incendie a été de connaître l’état structurel de la cathédrale. Avait-elle souffert plus que ce qui pouvait être détecté à l’oeil nu ? L’équipe de l’architecte italien Carlo Biasi est mandatée pour vérifier la stabilité de l’édifice. « La difficulté sur les bâtiments anciens, c’est qu’on ne connaît pas parfaitement la structure des matériaux, contrairement aux bâtiments modernes, mais on savait que la cathédrale était relativement en bon état avant l’incendie. » D’un point de vue structurel, l’échafaudage sinistré et l’effondrement des voûtes sont les sujets les plus sensibles.
Inclinomètre installé sous une corniche ©Osmos Group SA
Rapidement, décision est prise d’équiper de détecteurs de mouvements la cathédrale et l’échafaudage sinistré. « Une semaine après l’incendie, nous avons placé des dispositifs au niveau des voûtes effondrées, à la croisée du transept qui était la zone la plus fragile. La totalité des voûtes a été instrumentée avec des laser-mètres mis au niveau des tribunes et pointant vers les voûtes », rappelle Thomas de Lamartinie, de la société Osmos, en charge de l’installation de ces appareils et de l’analyse des données récoltées.
L’échafaudage sinistré est lui aussi équipé de capteurs dans un souci de sécurité de la cathédrale, et des compagnons sont appelés à travailler à son démontage. « La semaine après l’incendie, nous avions besoin de savoir si l’échafaudage bougeait, s’il revenait à sa place et s’il y avait des risques d’effondrement », précise Didier Cuiset, directeur d’Europe Échafaudage.
Deux stations d’acquisition de données, reliées à des capteurs, permettent de détecter le moindre mouvement d’affaissement des voûtes ©Osmos Group SA
Avec les architectes et les ingénieurs d’Osmos, une analyse est faite pour déterminer les endroits stratégiques où poser les appareils de mesure. Quarante capteurs sont ainsi installés et reliés à des dispositifs d’alarmes sonores et visuelles. Ils envoient également des alertes en temps réel aux ingénieurs et entreprises, permettant une évacuation immédiate par les nacelles en cas de danger. Les alarmes, ultrasensibles, ont souvent sonné mais la cathédrale a peu bougé depuis la nuit de l’incendie. Les capteurs continueront toutefois à veiller encore quelque temps, nuit et jour, sur Notre-Dame.
Mai 2019-début 2021: le déblaiement, le tri et l’inventaire des vestiges
Trier et inventorier les vestiges après l’incendie est probablement la plus belle aventure humaine de ce début de chantier. « Ce qui a été fait est incroyable. Dès le lendemain de l’incendie, archéologues et chercheurs se sont mobilisés pour essayer d’éviter que les vestiges soient évacués sans méthodologie », rappelle Jonathan Truillet, directeur adjoint des opérations de l’établissement public. « Nous avons élaboré un protocole original qui ne s’est jamais fait ailleurs, en tout cas pas à cette échelle, pour conserver, trier les gravats et les transformer en vestiges archéologiques que l’on va faire parler, étudier puis conserver », complète Aline Magnien, directrice du Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH). Son laboratoire s’est très vite mobilisé tout comme le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF), le Service régional d’archéologie (SRA), l’Institut de recherches archéologiques préventives (Inrap) puis le CNRS et les universités, avec, pour chacun, des spécialistes matériaux venus apporter leur expertise.
Des tables ont été installées dans la cathédrale pour procéder au premier tri des vestiges ©Patrick Zachmann/Magnum Photo
Les équipes se sont relayées tous les jours pour récupérer, trier et inventorier, en premier lieu ce qui était tombé au sol à la croisée du transept, dans le transept et dans la nef, puis ce qui était resté sur l’extrados des voûtes. Le SRA a formalisé le protocole. « Nous avons procédé d’abord en documentant par une campagne photo avant de prélever les vestiges grâce à des engins téléguidés », précise Dorothée Chaoui-Derieux, conservateur en chef du patrimoine au service régional de l’archéologie de la direction régionale des affaires culturelles d’Île-de-France. Yohan Touzelet, tailleur de pierre et conducteur de travaux chez Pierrenoël, se souvient : « Au début, puisque les scientifiques ne pouvaient ramasser eux-mêmes les vestiges, nous avons été leurs bras puis nous avons appris avec eux à traiter les vestiges par matériaux et par catégorie. » Pour les voûtes, ce sont les cordistes, guidés par les scientifiques, qui documentent et descendent les décombres.
Les bois calcinés de la charpente sont triés et répertoriés pour être analysés ©Patrick Zachmann/Magnum Photo
Les vestiges sont ensuite amenés sur une table installée dans la cathédrale où est effectué un premier tri par matériau et par utilisation future: remploi possible dans la restauration ou études scientifiques. « Le prélèvement des vestiges et leurs analyses vont permettre de nourrir les questionnements de la maîtrise d’oeuvre », rappelle Maxime L’Héritier, maître de conférences en histoire médiévale à l’université Paris VIII et archéologue. « Nous avons par exemple déjà analysé des fers d’autres églises, nous avons donc un référentiel que l’on pourra comparer à Notre-Dame. » « Ce sont des vestiges patrimoniaux à considérer comme tels, y compris le bois brûlé, cela peut donner beaucoup d’informations et être utile pour différents types de datation », complète Catherine Lavier, dendrochronologue au C2RMF.
Après un premier tri, les vestiges sont évacués vers des barnums installés sur le parvis de la cathédrale ©Patrick Zachmann/Magnum Photo
Une fois ce premier tri réalisé, un second inventaire est fait sous les barnums installés sur le parvis, puis l’ensemble, à l’exception de ce qui pourrait être utile aux architectes des monuments historiques, est envoyé dans un centre de stockage en région parisienne qui servira aussi de laboratoire de recherche pour les années à venir. Pascal Prunet, l’architecte en chef des Monuments historiques plus particulièrement en charge de ces sujets, conclut : « Il faut que la recherche alimente le projet de restauration de la cathédrale et qu’inversement celle-ci serve de bases à des recherches qui pourraient nourrir les programmes scientifiques.”
Décembre 2019: la mise en place d’installations de chantier de grande hauteur
Elle domine Notre-Dame du près de ses 80 mètres de hauteur. La grue à tour, installée pour aider au démontage de l’échafaudage sinistré et permettre l’évacuation des vestiges calcinés, a pris ses quartiers au-dessus de la cathédrale en décembre 2019, après des fouilles archéologiques. Elle n’est cependant pas le seul moyen de levage présent sur le chantier, 70 % des opérations ayant été réalisés par les airs. « À la grande grue s’ajoutent trois grues mobiles et trois nacelles qui ont permis aux compagnons et aux architectes d’accéder à l’échafaudage sinistré, d’observer et maintenant de faire des diagnostics, précise Arnaud Lemaire, directeur de projets à l’établissement public. Avoir autant de moyens est plutôt rare sur un chantier de monument historique, mais ils sont à la hauteur des enjeux.”
La grande grue à tour a été installée en décembre 2019 pour aider au démontage de l’échafaudage sinistré ©Jarnias Nathan Paulin
Dans l’urgence qui a suivi l’incendie, il a ainsi fallu dimensionner ces moyens de levage pour assurer les missions de sécurisation et, au jour le jour, les faire travailler ensemble. C’est le rôle de Davy Bemba, responsable de l’adéquation des moyens de levage chez Europe Échafaudage. « Tous les matins, à 7 h 30, le briefing réunit tous les conducteurs, les grutiers et les nacellistes. Nous faisons le point sur les opérations du jour, les zones d’exclusion et la météo. » Car celle-ci, et surtout le vent, est véritablement le maître du jeu lorsqu’on parle d’installations de grande hauteur. « Nous avons trois niveaux d’alertes : vert, il n’y a pas de vent au-dessus des seuils définis, les conditions sont bonnes, les opérations de levage peuvent avoir lieu ; jaune, il y a un risque, notamment de rafales. Le jaune peut à tout moment basculer en rouge et alors le levage ne peut avoir lieu. » Il faut aussi vérifier que l’environnement de la grue n’a pas été altéré, qu’il n’y a pas d’affaissements par exemple.
Autre contrainte : les différentes installations doivent être coordonnées, comme dans un ballet millimétré. Les grues et les nacelles sont donc équipées de GPS qui indiquent leurs positions et permettent, grâce à un logiciel, de gérer les zones d’interférences, là où il pourrait y avoir des collisions. Et Arnaud Lemaire de rappeler : « Sécuriser la cathédrale tout en assurant la sécurité des compagnons est au centre de nos préoccupations. C’est un souci de chaque instant.”
Mai-novembre 2019: le cintrage des arcs-boutants
Les arcs-boutants sont des éléments caractéristiques de l’architecture gothique. Ils remplacent les lourds contreforts de l’architecture romane et viennent contrebalancer la poussée des voûtes dans un équilibre parfait. Ils sont essentiels à la stabilité de la cathédrale. Avec l’effondrement d’une partie des voûtes, ils ne jouaient plus à plein leurs rôles et risquaient de se rompre, entraînant avec eux l’édifice.
Pour consolider les arcs-boutants, des cintres en bois, fabriqués sur mesure, ont été installés ©Patrick Zachmann/Magnum Photo
Architectes et bureaux d’études se mettent au travail dans les jours suivant l’incendie et imaginent un principe de soutien en bois pour maintenir les arcs et renvoyer les poussées à leurs pieds. « Cintrer un arcboutant est un cas d’école que les élèves architectes du patrimoine apprennent en première année. Mais c’est la première fois de l’histoire que l’ensemble des arcs-boutants d’une cathédrale est cintré », décrit Jean-Michel Guilment, chef de projet au sein de la direction des opérations de l’établissement public. Et il faut faire vite.
Visualisation 3D des cintres en bois supportant les arcs-boutants
Un géomètre est appelé pour effectuer des relevés 3D et prendre les cotes. Sur les vingt-huit arcs-boutants, pas un n’est identique, ni en forme, ni en longueur, ni en hauteur. Ce sera donc du sur mesure. Fabriqué chez Le Bras Frères, en Lorraine, chaque cintre, en bois de mélèze et pesant près de huit tonnes, est prémonté en atelier puis transporté sur le chantier. Là, les compagnons finissent de les assembler puis les accrochent à un palonnier, fabriqué lui aussi sur mesure. « C’est un travail d’une précision extrême, précise Yves Macel, chef de chantier chez Le Bras Frères. Au moment du levage, les cintres doivent être parfaitement d’aplomb et de niveau car là-haut, entre l’arc-boutant et son cintre, il n’y a que 5 à 6 centimètres de jeu et seulement 6 mètres d’écart entre chaque arc-boutant.”
Instantané du chantier ©Patrick Zachmann/Magnum Photo
Sur les structures en pierre, les maçons coulent des semelles en trois points d’appui sur lesquelles sont boulonnés les cintres. Pour le premier, il aura fallu aux charpentiers près de cinq heures pour l’installer, le temps d’acquérir les bons gestes. L’ensemble de cette opération minutieuse et en même temps spectaculaire aura duré en tout six mois.
Juin-novembre 2020: le démontage de l’échafaudage sinistré
Il l’appelle « l’incendié ». Didier Cuiset, directeur d’Europe Échafaudage, parle de lui comme d’une personne. « L’incendié », c’est l’échafaudage sinistré, celui dont tout le monde craignait qu’il ne tienne pas le choc après la chute de la flèche et qu’il ne s’effondre, entraînant avec lui la cathédrale. Didier Cuiset se rappelle « lors de son montage [pour la restauration de la flèche, dont les travaux allaient débuter lorsque l’incendie a eu lieu, le 15 avril 2019, NDLR], il avait été décidé de ne pas le faire s’appuyer sur les couvertures de l’édifice. Heureusement, car si cela avait été le cas, l’échafaudage se serait totalement effondré ». Ses 40 000 pièces ont été déformées et soudées par les flammes.
Un échafaudage a été construit autour et au-dessus de l’échafaudage sinistré pour le consolider pendant son démontage ©Patrick Zachmann/Magnum Photo
Un poids de 200 tonnes de métal est à déposer, dont la moitié à plus de 40 mètres de haut. Tâche complexe et inédite, elle constitue une opération essentielle dans la sécurisation de la cathédrale. « Avant de commencer sa dépose, il a fallu stabiliser et renforcer la structure de l’échafaudage. Nous avons donc construit un nouvel échafaudage de part et d’autre de l’ancien pour permettre aux cordistes de descendre au coeur de l’échafaudage sinistré en toute sécurité. Puis il a été ceinturé de poutres métalliques sur trois niveaux pour le rigidifier et empêcher tout risque d’écroulement », rappelle Stéphane Tissier, directeur des opérations de l’établissement public.
« L’échafaudage a fait preuve d’une bonne résistance mais il a fondu au-dessus des voûtes où se sont créés des amas de débris », précise Alexandre Pernin, directeur de projets au sein de l’établissement public. Entre 50 et 75 tonnes, entremêlées à des restes de charpente et de ferronneries, pendent dans le vide au-dessus de la croisée du transept ou bien sont tombées sur les voûtes. Un protocole de démontage est décidé. Tout est prévu, sauf l’arrivée du premier confinement qui met un coup d’arrêt au début de la dépose qui ne commence finalement qu’en juin 2020.
Le schéma de présentation de l’opération de démontage de l’échafaudage sinistré de Notre-Dame de Paris ©Philippe Apeloig
Deux équipes en alternance de cinq cordistes descendent au plus près des parties calcinées pour découper, à l’aide de scies-sabres, les tubes métalliques fondus les uns sur les autres. Ces morceaux sont évacués grâce à la grande grue à tour. Les parties de l’échafaudage accessibles à l’aide d’une nacelle sont quant à elles démontées par des échafaudeurs. « C’est une première mondiale, se félicite Xavier Rodriguez, PDG de Jarnias, entreprise spécialisée dans les travaux en hauteur, dont les cordistes sont intervenus aux côtés des échafaudeurs, nous avons mis en place un système d’accès automatisé grâce à des poutres suspendues et des rails de manière à descendre sur la partie calcinée pour aller découper les éléments pièce par pièce.”
Les échafaudeurs, eux, sont dans des nacelles et les guident à distance, suivant un programme établi semaine après semaine. Car il faut égaliser au fur et à mesure pour ne pas risquer de déstabiliser l’ouvrage. Une fois la partie incendiée évacuée, les échafaudeurs peuvent démonter étage par étage les assemblages non endommagés, toujours depuis les nacelles, travaillant de jour quand les cordistes oeuvrent la nuit pour continuer d’évacuer les vestiges de la charpente tombés sur les voûtes. « Une dernière phase hautement délicate a commencé fin octobre 2020 : le découplage, qui consiste à désolidariser les quatre pieds de l’échafaudage. Depuis l’incendie, nous avons appris à connaître l’échafaudage et son comportement mais cette étape nous a replongés dans l’inconnu », confie Rémi Fromont.
Des cordistes découpent la partie calcinée de l’échafaudage sinistré selon les directives des échafaudeurs installés dans une nacelle ©Patrick Zachmann/Magnum Photo
Pour cette phase finale, un roulement de deux fois 8 heures a été mis en place. Deux équipes d’échafaudeurs se relaient de 6 h à 23 h, afin de tirer au mieux parti des conditions météo favorables. Le démontage de ce monstre d’acier s’est achevé le 24 novembre 2020 en présence notamment de la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot-Narquin. La fin de cette opération permet d’accéder aux parties intérieures de la cathédrale et d’entreprendre des travaux tout aussi inédits et complexes : l’installation d’un parapluie provisoire et la consolidation et le déblaiement des voûtes.
Juillet-mi-2021: la consolidation et le diagnostic des voûtes
Pour connaître l’état des voûtes après l’incendie, impossible de passer en dessous. Les risques d’effondrement de celles-ci ou de l’échafaudage sinistré sont alors bien trop grands. Décision est prise de passer par le dessus. Mais pour ce faire, comme pour le démontage de l’échafaudage, il faut pouvoir y accéder. Julien Le Bras, PDG du groupe Le Bras Frères, spécialisé dans la charpente, détaille : « Très rapidement, nous avons mis en place un plancher d’échafaudage pour permettre notamment les opérations d’évacuation des vestiges (bois calcinés, éléments métalliques, etc.) des voûtes.”
Un cordiste surplombant une voûte à demi écroulée ©Patrick Zachmann/Magnum Photo
Des rails sur lesquels s’accrochent les cordistes sont fixés aux poutres des planchers. Grâce à ce dispositif, les architectes en chef des monuments historiques peuvent accéder à l’extrados des voûtes et effectuer les premiers diagnostics. « Nous avons contrôlé les zones où une couche de pierre avait disparu. Les voûtes étaient protégées par un enduit assez fin mais qui comportait du plâtre, du sable et de la chaux et qui a fonctionné comme une couche protectrice », détaille Pascal Prunet, l’architecte en chef des monuments historiques en charge de ce volet. « Les voûtes ont brûlé superficiellement sur l’extrados de l’ordre de 2 centimètres sur 20 », complète Jean-Michel Guilment, chef de projet au sein de l’établissement public.
Déblaiement des vestiges calcinés de la charpente de l’extrados des voûtes ©Patrick Zachmann/Magnum Photo
Les cordistes jouent un rôle essentiel, comme le confirme Xavier Rodriguez, PDG de Jarnias : « Nous avons formé les architectes en chef des monuments historiques au cordage pour qu’ils puissent réaliser eux-mêmes les diagnostics et nous travaillons main dans la main avec les tailleurs de pierre et les maçons en leur créant des moyens d’accès leur permettant de consolider les voûtes. » En effet, une fois le premier diagnostic posé, les voûtes qui ne se sont pas effondrées ont besoin d’être renforcées.
Après avoir déblayé les vestiges de la charpente, les cordistes aident au diagnostic et à la consolidation des voûtes ©Patrick Zachmann/Magnum Photo
Ces opérations de consolidation provisoires consistent à appliquer sur le dessus des voûtes une couche de plâtre renforcée par une armature pour améliorer la stabilité de l’ouvrage. Cette étape est le préalable au montage en toute sécurité d’un échafaudage intérieur pour accéder enfin par le dessous et pouvoir cintrer les voûtes, diagnostiquer l’intrados et imaginer le protocole de restauration. Son installation a déjà commencé partout où c’était possible. « Les voûtes ont subi le feu, l’eau, des lessivages, le dépôt de micro-organismes, des tanins des bois de charpente… toute une liste d’éléments qu’il faudra analyser avant de procéder à leur nettoyage », explique Pascal Prunet qui révèle confiant : « Il faut encore confirmer le mode d’intervention mais il sera majoritairement conservatoire.”
Août-décembre 2020: la dépose du grand orgue
La dépose du grand orgue symphonique, plus grand orgue de France avec ses 8000 tuyaux et ses 115 jeux, dont certaines parties datent de la période gothique et d’autres sont signées du grand facteur d’orgue de la seconde moitié du XIXe siècle Aristide Cavaillé-Coll, a commencé à l’été 2020. Miraculeusement épargné par le feu et les centaines de milliers de litres d’eau déversés par les pompiers pour venir à bout de l’incendie, le grand orgue, qui avait été restauré récemment, a toutefois souffert des poussières de plomb soulevées au moment de l’effondrement de la voûte. « Ces poussières ne sont pas dangereuses pour la conservation de l’instrument, précise le maître d’œuvre de cette opération, Christian Lutz, organologue et technicien-conseil auprès du ministère de la Culture, en revanche, elles le sont pour la santé des facteurs d’orgue et des organistes. » L’instrument doit donc être démonté pour être nettoyé et restauré en atelier de facture d’orgue.
Un échafaudage a été construit autour du grand orgue pour permettre son démontage ©Patrick Zachmann/Magnum Photo
Pour ne pas disséminer ces poussières pendant le démontage, un échafaudage a été installé et entouré de bâches thermo-soudées, mettant sous cloche l’instrument et les facteurs d’orgue chargés de son démontage. « Il n’est pas exceptionnel de faire du démontage de tubes mais c’est extrêmement rare d’en démonter la presque totalité », confie Alexandre Pernin, directeur adjoint de opérations au sein de l’établissement public. Les trois entreprises de facteurs d’orgue mobilisées sur cette opération ont cinq mois pour réaliser la dépose qui s’achèvera en décembre 2020.
Dépose de la console du grand orgue de la cathédrale Notre-Dame de Paris, 3 août 2020 ©Christian Lutz /Établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris
La dépose de la console et de ses cinq claviers, première étape de l’opération, s’est déroulée le 3 août 2020. Ensuite, ce fut le tour des chamades, ces tuyaux horizontaux qui ressemblent à de fines bouches de canon, puis une partie des tuyaux de façade, le reste de la tuyauterie en bois et en métal et enfin la partie technique, notamment les sommiers, qui distribuent l’air sous pression. « Chaque élément de l’orgue doit être évacué en étant identifié, numéroté, dépoussiéré, protégé et mis en caisse », poursuit Alexandre Pernin. Le tout a ensuite été mis dans des containers pour être stocké à l’abri en attendant que soient choisies, après appel d’offre, les entreprises qui procéderont à son nettoyage et à sa restauration.
Les facteurs d’orgue démontent un à un les tuyaux de façade ©Patrick Zachmann/Magnum Photo
Le buffet (le meuble qui soutient l’ensemble et sert de caisse de résonance), qui date de 1733, ne sera pas démonté, mais décontaminé sur place ainsi que les quatre gigantesques soufflets et quelques tuyaux de façade en étain pur et certains tuyaux de bois. « C’est un chantier hors norme par rapport aux contraintes habituelles des facteurs d’orgue, notamment en termes de sécurité, mais l’établissement public a mis en place des conditions de travail très favorables », ajoute Christian Lutz. Il faut dire que l’enjeu est de taille. « Véritable chantier dans le chantier, la dépose du grand orgue est une étape importante dans la renaissance de la cathédrale. Notre ambition est de restituer l’instrument dans l’état de fonctionnement dans lequel il était avant l’incendie. Six mois seront nécessaires à son accord et à son harmonisation afin qu’il puisse résonner le 16 avril 2024 », soulignait alors le général Jean-Louis Georgelin, ancien président de l’établissement public.