L'analyse d'ADNs anciens suggère que la peste aurait contribué à la diminution drastique des populations scandinaves de l'âge de pierre. Et ce, bien avant les grandes épidémies médiévales.
Jusqu'à présent, les cas les plus anciens d'une transmission de la peste (Yersinia pestis) à l'humain en Europe remontaient à 5 000 ans, dans des populations des actuelles Lettonie et Suède. Seulement, les chercheurs n'étaient pas encore parvenus à établir s'il s'agissait autrefois de deux cas isolés, où d'une épidémie plus large, potentiellement la plus vieille connue sur le continent – bien avant les plus célèbres (et meurtrières) pandémies de la peste de Justinien (541-750 apr. J.-C.), la peste noire (1346-1353) et celle partie de Chine à la fin du XIX siècle.
Une nouvelle étude de l'université de Copenhague (Danemark), publiée dans Nature le 10 juillet 2024, semble confirmer l'un des deux scénarios : l'analyse de l'ADN ancien de 118 individus de l'âge de pierre, exhumés sur neuf sites funéraires en Suède et au Danemark, suggère en effet qu'une forme ancienne de la peste était alors répandue chez ces premiers agriculteurs de Scandinavie.
La bactérie aurait ainsi provoqué une épidémie, qui pourrait (en partie) expliquer pourquoi ces populations se sont mystérieusement effondrées en l'espace de 400 ans.
Mystérieuse disparition des premiers agriculteurs européens
Il y a entre environ 7 000 à 6 000 ans, les petites bandes de chasseurs-cueilleurs du nord-ouest de l'Europe sont remplacées par d'autres populations, apportant l'agriculture et un mode de vie sédentaire depuis la Méditerranée orientale : en archéogénétique, ce groupe est connu sous le nom de premiers agriculteurs européens (Early European Farmers) ou agriculteurs néolithiques anatoliens (Anatolian Neolithic Farmers). Entre 5 300 et 4 900 ans, ils disparaissent à leur tour.
Tout d'un coup, dans les preuves archéologiques, les spécialistes n'identifient plus de mégalithes et de sépultures leur étant associés – à l'image du plus célèbre, le premier monument de Stonehenge. Des études ont suggéré qu'une crise agricole liée au changement climatique pourrait avoir été à l'origine de ce déclin soudain. D'autres théorisent que de nouveaux arrivants venant des steppes eurasiatiques se seraient imposés par la violence.
Les nouvelles recherches permettent de pointer la peste comme autre facteur contributif de cet énigmatique effondrement. Pour parvenir à cette conclusion, ses auteurs se sont appuyés sur l'ADN ancien extrait des os et des dents d'individus morts il y a 5 000 ans. Des informations génétiques sur les agents pathogènes peuvent en effet y être préservés, permettant d'obtenir de précieux indices sur les maladies anciennes et leur évolution. Ici, l'ADN ancien a aussi permis aux scientifiques d'établir les liens de parenté entre les 108 personnes exhumées.
Yersinia pestis, une des clés de l'énigme néolithique ?
Yersinia pestis, bactérie responsable de la peste, s'est avérée être la plus répandue des six agents pathogènes décelés. Elle était présente chez 18 individus – soit 17 % des 108 échantillons, un sur six. "De plus, nos résultats suggèrent que la plus jeune souche de la peste identifiée pourrait avoir eu un potentiel épidémique", déclare dans un communiqué Frederik Seersholm du Globe Institute de l'université de Copenhague, auteur principal de l'étude.
À cette époque lointaine, la véritable prévalence de la pathologie pourrait même avoir été bien plus élevée, estiment en outre les chercheurs. Pour cause, l'ADN ancien ne peut être extrait que de restes humains bien conservés, et il n'est pas possible de savoir avec certitude si les individus sont morts de la peste, seulement qu'ils étaient infectés au moment de leur décès. Il est aussi difficile de savoir à quel point la maladie était létale ou chronique.
Mais ces découvertes sont surprenantes sur plusieurs points. "Je m'attendais à trouver que la bactérie ne soit présente que chez la dernière génération, preuve que la peste en aurait tué tous les individus", explique Frederik Seersholm auprès de CNN. Yersinia pestis a pourtant été détectée dans les restes de quatre des six générations cartographiées sur les sites funéraires. Dans l'une des familles analysées, au moins trois épidémies ont été observées à travers les âges. Pourquoi, alors, la maladie n'a-t-elle pas décimé tout le monde dès la première génération ?
Une source moins dangereuse que celle de la peste noire ?
L'équipe a identifié des cas où les gènes de la bactérie de la peste avaient été remaniés — perdus, ajoutés ou déplacés dans les séquences ADN. Des variantes qui auraient peut-être pu, en l'espace d'une génération, affecter la virulence de l'agent pathogène, le rendant plus dangereux avec le temps. "Cela est très, très difficile à tester, parce que vous ne pouvez pas vraiment cultiver une bactérie ancienne", précise toutefois l'expert auprès de CNN.
Il est possible que ces données génétiques n'aient permis de capturer que le tout début de l'épidémie. Ou encore, que la maladie était moins sévère que lors de la dévastatrice peste noire, qui aurait tué (selon certaines estimations) environ la moitié de la population européenne en sept ans – et qui a laissé des traces sur nos systèmes immunitaires. Cette dernière fut principalement bubonique : une puce infectée par la bactérie la transmettait par morsure à un rongeur infecté (ou inversement), qui le transmettait à son tour à un humain.
Dans la Scandinavie néolithique, la pathologie se serait davantage propagée, plutôt que par une transmission sporadique à partir d'animaux, de personne à personne, via les gouttelettes respiratoires (peste pneumonique) "Nous ne pouvons pas encore prouver que cela s'est passé exactement de cette manière, conclut Frederik Seersholm dans le communiqué. Mais le fait que nous puissions maintenant montrer que cela aurait pu se passer ainsi est significatif. La cause de ce déclin de population, que nous connaissons depuis longtemps, a toujours fait l'objet de débats."